Les Mages du Banc de Touche : La Grande Épopée des Entraîneurs Marocains

L’histoire de l’équipe nationale marocaine de football est une fresque riche en émotions, marquée par des moments de gloire et des périodes de doute. Au cœur de cette saga, les entraîneurs marocains ont joué un rôle prépondérant, incarnant tour à tour l’espoir, la fierté et parfois la frustration de toute une nation. De
la première participation à la Coupe du Monde en 1970 jusqu’à l’exploit historique de 2022, en passant par le sacre continental de 1976, l’empreinte des techniciens locaux est indélébile. Cet article retrace leurs parcours, analyse leur impact et met en lumière leurs contributions, sans occulter les défis et les faiblesses qui ont jalonné leur chemin.
Les Pionniers et la Naissance d’une Ambition (1960-1970)
Les premières décennies du football marocain indépendant voient se succéder des figures emblématiques qui jettent les bases de la sélection nationale. Parmi eux, Abdellah Settati se distingue. Ancien joueur de renom, Settati prend les rênes de l’équipe nationale entre 1968 et 1970. Son mandat est couronné par une qualification historique pour la Coupe du Monde 1970 au Mexique.
Et bien qu’il soit officiellement l’adjoint du technicien macédonien Blagoje Vidinic lors de la phase finale, l’influence de Settati dans la construction de cette équipe est indéniable. Cette première participation au plus grand tournoi de football au monde est un exploit retentissant qui place le Maroc sur la carte du football mondial.
L’héritage de cette période est immense. Les entraîneurs de cette époque, souvent d’anciens joueurs, ont insufflé un esprit combatif et une fierté nationale à une équipe en pleine construction. Leur connaissance intime du football local et des joueurs a été un atout majeur pour forger une identité de jeu.
La Consécration Africaine et l’Exploit Mexicain (1976-1986)
L‘année 1976 reste gravée en lettres d’or dans l’histoire du football marocain. Sous la houlette du Roumain Gheorghe Mărdărescu, les Lions de l’Atlas remportent leur unique Coupe d’Afrique des Nations.
Si l’entraîneur principal est étranger, le contexte de l’époque montre une forte implication des cadres marocains dans la gestion de la sélection. Le capitaine emblématique Ahmed Faras et ses coéquipiers réalisent un parcours exceptionnel en Éthiopie, démontrant une maturité tactique et une solidarité sans faille.
Dix ans plus tard, le Maroc écrit une autre page mémorable de son histoire lors de la Coupe du Monde 1986 au Mexique. Dirigée par le Brésilien José « Mehdi » Faria, l’équipe nationale devient la première nation africaine et arabe à se qualifier pour le second tour d’un Mondial.
Converti à l’islam, et une nationalité marocaine acquise ensuite, Faria a su créer une osmose parfaite entre les joueurs locaux, issus en grande partie de l’AS FAR qu’il entraînait également, et les premiers professionnels évoluant en Europe. Son succès est aussi celui d’une vision à long terme, bâtie sur la stabilité et une connaissance approfondie du vivier marocain.
L’épopée de 1986, avec des matchs nuls héroïques contre la Pologne et l’Angleterre et une victoire éclatante contre le Portugal, reste une référence absolue et une source d’inspiration pour les générations futures.
L’Ère des Talents et des Occasions Manquées (1990-2010)
La fin du 20e siècle et le début du 21e sont marqués par une succession d’entraîneurs, marocains et étrangers, avec des fortunes diverses.
La Coupe du Monde 1998 en France, sous la direction du Français Henri Michel, laisse un souvenir mitigé. Malgré une équipe talentueuse et un jeu séduisant, les Lions de l’Atlas sont éliminés cruellement au premier tour.
Au cours de cette période, la figure de Badou Zaki émerge comme l’un des entraîneurs marocains les plus emblématiques. Ancien gardien de but légendaire et Ballon d’Or africain en 1986, Zaki prend les rênes de l’équipe nationale de 2002 à 2005. Il mène le Maroc à la finale de la Coupe d’Afrique des Nations 2004, perdue de justesse face à la Tunisie.
Son style, basé sur la rigueur défensive et la discipline, a souvent été salué, mais il a aussi connu des moments difficiles, notamment lors de son second mandat entre 2014 et 2016.
D’autres techniciens marocains comme M’hamed Fakhir, Rachid Taoussi et Hassan Moumen ont également eu l’honneur de diriger la sélection, mais avec des résultats souvent en deçà des attentes.
Cette instabilité chronique sur le banc de touche, souvent appelée « la valse des entraîneurs », a été l’un des freins majeurs au développement d’un projet de jeu sur le long terme.
La Révolution Regragui et la Consécration Mondiale (2022 à aujourd’hui)
L’arrivée de Walid Regragui à la tête de la sélection en août 2022, à quelques mois seulement de la Coupe du Monde au Qatar, marque un tournant historique. Ancien international marocain, Regragui a connu une carrière d’entraîneur couronnée de succès en club, remportant notamment la Ligue des champions de la CAF avec le Wydad de Casablanca.
En un temps record, il parvient à fédérer un groupe, à restaurer la confiance et à mettre en place un système de jeu redoutablement efficace, basé sur un bloc défensif solide et des transitions rapides. Le parcours du Maroc à la Coupe du Monde 2022 est un véritable conte de fées : première place d’un groupe relevé, victoires historiques contre l’Espagne en huitièmes de finale et le Portugal en quarts.
Les Lions de l’Atlas deviennent la première équipe africaine et arabe à atteindre les demi-finales d’une Coupe du Monde, un exploit qui fait la fierté de tout un continent.
Le succès de Regragui est celui d’un entraîneur moderne, excellent communicant (au moins à ses débuts) et tacticien très concentré. Il a su parfaitement gérer les egos, tirer le meilleur de ses joueurs stars et créer une « grinta » et un esprit de famille qui ont transcendé l’équipe.
Son parcours démontre de manière éclatante que les entraîneurs marocains, lorsqu’ils bénéficient de la confiance et des moyens nécessaires, peuvent rivaliser avec les meilleurs du monde.
Tarik Skitioui, l’Artisan de la Médaille Olympique (2024)
Dans le sillage des succès de l’équipe A, une autre performance historique est venue confirmer la nouvelle dimension prise par le football marocain. Aux Jeux Olympiques de Paris 2024, l’équipe nationale des moins de 23 ans, dirigée par Tarik Skitioui, a écrit sa propre légende. Ancien international et entraîneur reconnu pour son style de jeu offensif, Skitioui a été nommé à la tête de la sélection olympique quelques mois seulement avant l’échéance.
Le défi était de taille : composer avec les refus de certains clubs de libérer leurs joueurs et préparer un groupe pour une compétition aussi relevée en un temps record. Pourtant, le technicien marocain a su relever le gant avec brio. Son travail a d’abord consisté à créer un état d’esprit irréprochable.
Il a insisté sur l’importance de la concentration et de l’amour du maillot, des valeurs qui se sont avérées cruciales. Le parcours des Lionceaux de l’Atlas fut exceptionnel. Après être sortis d’un groupe difficile comprenant l’Argentine, ils ont réalisé l’exploit d’atteindre le dernier carré, une première pour le Maroc à ce stade de la compétition olympique.
Bien que le rêve d’une finale se soit envolé de justesse face à l’Espagne, les coéquipiers d’Achraf Hakimi ont montré une force de caractère impressionnante. Pour le match de classement, ils ont livré une prestation magistrale, écrasant l’Égypte sur le score sans appel de 6-0 pour décrocher une médaille de bronze historique, la toute première pour le football marocain aux Jeux Olympiques.
Cette victoire éclatante est le fruit du travail tactique et mental de Skitioui, qui a su remobiliser ses troupes après la déception de la demi-finale. Il a dédié cette médaille au Roi Mohammed VI et à tout le peuple marocain, soulignant le dévouement et le patriotisme de ses joueurs.
Cet exploit olympique, venant après celui du Mondial 2022, confirme que le succès du football marocain n’est pas un feu de paille mais le résultat d’une stratégie globale et de la compétence grandissante de ses entraîneurs locaux.
L’Impact des Entraîneurs Locaux : Forces et Faiblesses
L’analyse des parcours des entraîneurs marocains révèle des forces et des faiblesses récurrentes.
Les Forces
- Connaissance du contexte local : Les entraîneurs marocains possèdent une compréhension intime de la culture, de la mentalité des joueurs et des dynamiques du football national.
- Fibre patriotique : En tant qu’anciens joueurs ou figures du football national, ils parviennent souvent à insuffler une motivation et un engagement patriotique supplémentaires aux joueurs.
- Proximité avec les joueurs : La barrière de la langue et les différences culturelles étant « souvent » absentes, la communication et la gestion humaine sont ainsi facilitées.
- Résilience et adaptation : Habitués aux conditions parfois difficiles du football africain et local, ils font preuve d’une grande capacité d’adaptation.
Les Faiblesses et les Défis
- Formation et ouverture internationale : Par le passé, un manque de formation continue et d’exposition aux méthodologies les plus modernes a parfois été pointé du doigt. La maîtrise des outils technologiques et de la communication a également été un défi pour certains.
- Pression médiatique et populaire : La passion pour le football au Maroc engendre une pression immense de la part des médias et des supporters, parfois difficile à gérer.
- Instabilité et manque de projets à long terme : Les entraîneurs, marocains comme étrangers, sont souvent les fusibles en cas de mauvais résultats, ce qui empêche la mise en place de projets durables.
- Gestion des joueurs évoluant à l’étranger : La gestion d’un effectif composé de joueurs évoluant dans les plus grands clubs européens, avec des cultures et des exigences différentes, représente un défi managérial de taille.
Vers une Confiance Renouvelée
L’épopée de Walid Regragui et des Lions de l’Atlas au Qatar a changé la perception des entraîneurs marocains.
Elle a prouvé qu’avec une vision claire, une formation adéquate et un soutien sans faille, le talent local peut non seulement éclore mais aussi briller au plus haut niveau mondial.
L’exploit de 2022, couplé aux succès d’autres techniciens marocains comme Houcine Ammouta, qui a mené la Jordanie à une finale historique de la Coupe d’Asie, témoigne d’une montée en compétence indéniable.
Aujourd’hui, le Maroc semble avoir trouvé une formule gagnante, en misant sur des cadres nationaux pour superviser toutes les catégories d’âge des sélections nationales, une stratégie soutenue par des investissements massifs dans les infrastructures comme le Complexe Mohammed VI de Football.
Le défi pour le football marocain est désormais de capitaliser sur cette dynamique, de continuer à former et à faire confiance à ses entraîneurs, pour que l’exploit de 2022 ne soit pas une exception, mais le début d’une nouvelle ère de succès durable, portée par l’expertise et la passion de ses propres enfants.