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Ultras marocains : entre passion, culture et controverse

Dans les stades du Maroc, un spectacle a souvent éclipsé le jeu lui-même. Des virages entiers, appelés « Curva » ou « Magana », s’embrasent de couleurs, de chants assourdissants et de chorégraphies monumentales.

Ce sont les territoires des Ultras, un mouvement de supporters qui a redéfini la culture du football dans le royaume. Nés au début des années 2000 sur le modèle italien, les groupes Ultras marocains sont devenus un phénomène social unique, mêlant une passion dévorante pour leur club à une forme d’expression artistique et, parfois, à une violence incontrôlée.

Entre les « tifos » qui font le tour du monde et les affrontements qui endeuillent le sport, l’univers des Ultras marocains est une réalité à double visage, complexe et profondément ancrée dans les réalités sociales du pays.

Naissance et Esprit d’un Mouvement Unique

L’année 2005 est souvent considérée comme l’an zéro du mouvement Ultra au Maroc. Des groupes comme les Winners (Wydad de Casablanca), les Green Boys (Raja de Casablanca) et les Ultras Askary (AS FAR de Rabat) voient le jour.

Leur credo est clair et inspiré des principes fondamentaux du mouvement mondial : indépendance totale vis-à-vis de la direction du club, autofinancement de toutes les activités (déplacements, tifos) grâce aux cotisations et à la vente de produits dérivés, et une loyauté sans faille, quel que soit le résultat.

Plus qu’un simple groupe de supporters, l’Ultra est une famille, un clan. Il offre à des milliers de jeunes un sentiment d’appartenance, une identité et une raison de vibrer.

Dans les gradins, les barrières sociales s’effacent au profit d’une seule cause : celle du maillot. Cet esprit de corps est la force motrice qui permet de réaliser des prouesses logistiques et artistiques impressionnantes.

La « Curva », un Espace d’Expression Artistique et Sociale

La contribution la plus visible et la plus célébrée des Ultras est sans conteste leur créativité. Les virages marocains sont devenus des galeries d’art à ciel ouvert, où des œuvres éphémères d’une complexité rare sont déployées.

Les Tifos : Des Œuvres d’Art Éphémères

Un « tifo » n’est pas une simple animation. C’est le résultat de semaines, voire de mois de travail, mené dans le plus grand secret. Chaque tifo raconte une histoire, transmet un message.

Il peut s’agir d’un hommage à une légende du club, d’une réponse cinglante à un rival, ou d’une référence à la pop culture (mangas, séries, films), témoignant de l’imagination débordante de leurs créateurs.

Ces fresques géantes, composées de voiles, de milliers de feuilles de papier et de fumigènes, ont donné au Derby de Casablanca, par exemple, une renommée mondiale qui dépasse largement le cadre du sport.

Les Chants : La Voix du Peuple

Loin des refrains simplistes, les Ultras sont de véritables paroliers. Leurs chants, longs et complexes, sont de véritables hymnes qui peuvent aborder la gloire du club, la critique de la gestion sportive, mais aussi des thèmes bien plus larges.

Le chant des Ultras du Raja, « F’bladi Delmouni » (Dans mon pays, on m’a opprimé), a dépassé toutes les frontières des stades pour devenir un cri de ralliement social et politique dans plusieurs pays du monde arabe.

Cet exemple illustre comment la « Curva » est devenue une caisse de résonance des frustrations et des aspirations d’une partie de la jeunesse marocaine.

La Face Sombre : Quand la Passion Dévie en Violence

Malheureusement, cette ferveur a un revers sombre et destructeur. Le mouvement Ultra au Maroc est gangrené par le hooliganisme.

Les rivalités entre groupes dégénèrent régulièrement en affrontements d’une violence extrême, avant, pendant, et après les matchs.

Des batailles rangées, parfois planifiées, à l’arme blanche, sèment la terreur dans les villes et ont causé la mort de plusieurs jeunes supporters au fil des années.

Le vandalisme est également monnaie courante : bus caillassés, biens publics et privés détruits…

Ces actes de délinquance ternissent l’image de l’ensemble du mouvement. Les causes de cette violence sont multiples et complexes : frustrations sociales, chômage, rivalités territoriales exacerbées, et une culture de la confrontation où le « bâchage » (le vol de la bâche, symbole sacré d’un groupe rival) est considéré comme l’humiliation suprême justifiant toutes les dérives.

La Réponse des Autorités et les Tentatives de Régulation

Face à ces dérives, les autorités marocaines ont adopté une approche principalement sécuritaire. La loi 09-09, promulguée en 2011, vise à lutter contre la violence dans les enceintes sportives en prévoyant de lourdes peines de prison et des amendes pour les fauteurs de troubles.

En 2016, le ministère de l’Intérieur avait même prononcé la dissolution des groupements Ultras, leur interdisant toute activité.

Cependant, cette politique répressive a montré ses limites. Malgré les interdictions de stade, les arrestations massives et la surveillance accrue, le mouvement a survécu, opérant souvent dans la clandestinité avant de réapparaître.

Le dialogue entre les autorités, les clubs et les leaders des Ultras reste quasi inexistant, empêchant l’émergence de solutions pérennes qui pourraient préserver la ferveur tout en éradiquant la violence.

Quel Avenir pour le Mouvement Ultra au Maroc ?

Les Ultras marocains incarnent une des plus profondes contradictions du Maroc contemporain. Ils sont à la fois capables du meilleur et du pire.

D’un côté, ils sont les créateurs d’une ambiance et d’une culture uniques au monde, une source de fierté et un puissant vecteur d’expression pour la jeunesse.

De l’autre, ils sont un facteur majeur d’insécurité et de violence qui met en danger des vies et nuit à l’image du football national.

L’avenir du mouvement dépendra de la capacité de toutes les parties prenantes à répondre à une question cruciale :

Comment canaliser cette passion phénoménale pour n’en garder que le meilleur ?

Sans un véritable travail de fond sur les causes sociales de la violence et sans l’instauration d’un dialogue constructif, le risque est grand de voir la spirale répressive continuer, au risque d’éteindre la flamme… ou de laisser la violence consumer ce qui reste de la fête.

Équipe Onyx

L'équipe Onyx Foot scrute la scène du football au Maroc et vous apporte l'essentiel de l'info à savoir sur le football marocain, vérifiée et agrégée: news, reportages, chroniques et dossiers spécieux.

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